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de Micromégas. Mais, pour parler sérieusement, les conditions de culture scientifique et de civilisation dans lesquelles s’est conduite la dernière guerre n’ont-elles pas tendu, par leur perfection même, à lui rendre une certaine figure de guerre antique, que les guerres modernes avaient perdue ?

La rapidité des moyens de transport — transport de la matière et transport de la pensée — a diminué les distances au point qu’un grand État moderne représente des espaces réellement moindres, une réalité sociale plus simplifiée et plus condensée qu’une Laconie ou qu’une Attique. Le monde qui était encore si grand au temps de Napoléon est devenu plus petit qu’au temps des Grecs, où il était circonscrit à la Méditerranée. Nous avons vu la France réduite pendant quatre ans aux dimensions, à la nature, à l’action d’une ville assiégée ; le grand quartier général était informé plus vite de ce qui se passait d’un bout à l’autre du front que ne l’étaient des incidents militaires Périclès, quand Archidamos tenait la campagne d’Athènes et que les Lacédémoniens ravageaient l’Attique. Le peuple, stationnant devant les dépêches ou lisant les journaux, suivait la guerre sur tous les fronts, jusqu’aux Dardanelles et à Kiao-Tchéou, de façon plus instantanée et plus sûre qu’un Platéen ne connaissait autour de sa ville les progrès du siège. Si le monde est petit, il est devenu d’autant plus grec. Il s’est d’autant mieux replié sur la mesure de l’homme, et la maxime de Protagoras donnerait ici son plein effet.

Car la vie sociale, la politique, et même la nature ont eu beau être bouleversées de haut en bas, la valeur suprême, dans ces deux guerres, demeure la même, c’est l’homme. Au-dessus de la guerre du Péloponèse se lève ce type parfait et plein, l’hoplite, l’homme pesam-