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dont la poignée survivante de citoyens, conservant en quelques têtes toute l’âme de la cité, décroîtra et s’éteindra dans une tragique splendeur. Le nouveau Péloponèse finira, très tard, par produire un homme, Philopœmen, dont la mort illustrera de façon saisissante les haines intérieures qui dressent les uns contre les autres tous ces petits peuples. Je suis loin de penser que ce très petit Balkan d’autrefois nous présage en ces traits le destin du très grand Balkan qu’est l’Europe centrale d’aujourd’hui. Reconnaissons cependant que, sous les différences, il y a bien d’une époque à l’autre un petit noyau identique, notre κτῆμα ἐς ἀεί.

Cette analogie des deux guerres paraîtra peut-être au lecteur d’autant plus artificielle et forcée que la différence entre l’étendue de leur domaine est plus considérable : comment comparer les cités miniatures de la Grèce, leurs petites armées et leurs petites batailles, à l’énorme cataclysme qui a bouleversé l’Europe, à cette guerre qui laisse loin derrière elle le merveilleux homérique lui-même, puisqu’on s’y bat du fond de la mer jusqu’au lointain des airs, plus loin que le sommet de l’Olympe ? Comment comparer les intérêts des cités à ceux des États modernes ? La première n’est-elle pas à la seconde ce que la Batrachomyomachie est à l’Iliade ? Notons d’abord que toute guerre entre une puissance continentale et une puissance maritime est à sa façon une Batrachomyomachie, et que dans la nôtre les grenouilles furent précisément sauvées par l’arrivée des grands crabes d’outre-mer ; notons-le pour maintenir, autant qu’il convient à notre modestie, le point de vue de Sirius ou