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et de l’Amérique, de M. Lloyd George et de M. Wilson, une légende future pourrait faire jouer au choral de Luther en 1914 un rôle assez analogue au chœur d’Électre en 404.

Cette balkanisation n’a pas son origine dans la perversité de politiques machiavéliques, mais dans les nécessités de la politique et dans la nature historique de l’Europe centrale. Balkaniser, c’est diviser pour commander. « Le monde ne peut rester en repos tant qu’il existera un peuple français, disait une proclamation prussienne en 1815. Partageons-le en Neustrie, en Aquitaine. Le malheur pour la Prusse était qu’il y a une France indivisible, et que les mots de Neustrie et d’Aquitaine n’existent que pour l’histoire du moyen-âge. Bavière, Saxe et Prusse ont un peu plus d’existence politique, et Bohême, Croatie, Pologne en ont encore davantage. Pour balkaniser l’Europe centrale, il suffit de la laisser retomber dans son état naturel, qui est la division. C’est une garantie de suprématie pour les grandes puissances. Ce n’est pas une garantie pour une paix générale, que les pays danubiens séparés ne paraissent pas devoir assurer beaucoup mieux que l’Autriche-Hongrie d’hier. Balkanisme ne signifie pas précisément concorde. La proclamation prussienne que je citais tout à l’heure finissait ainsi : « Ils se déchireront entre eux, mais le monde sera tranquille pour des siècles. » En se déchirant entre eux les peuples des Balkans n’ont pas contribué précisément à la tranquillité du monde. C’est d’ailleurs ici que commence le rôle de la diplomatie. Quand la France eût, par les traités de Westphalie, assuré la division de l’Allemagne, elle ne crut pas son travail fini et sut conserver cette division par les mêmes moyens et la même prévoyance qui