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malgré la destruction de Platées, sa domination sur la Béotie demeurera mal assise ; seule la disparition d’Athènes lui permettra d’exercer dans la Grèce du Nord une hégémonie analogue à celle de Sparte dans le Péloponèse. Cette dernière raison ne saurait convaincre Lacédémone et l’entraînerait assez naturellement à contrecarrer le vœu des Thébains. Mais c’est pour d’autres causes encore que Sparte résiste à la volonté de ses alliés et conserve l’existence de sa rivale.

Certes le conte grandiose du chœur d’Électre : « fille d’Agamemnon, je suis venu vers ta demeure rustique… » qui, récité à la table des généraux vainqueurs, aurait sauvé Athènes en interposant l’image de son génie et de sa poésie, a été inventé plus tard. Il est impossible pourtant qu’il n’implique pas une vérité profonde, uns vérité morale, vivante au cœur de Sparte. Au moment où Lacédémone avait obtenu ou croyait avoir obtenu tout ce qu’elle pouvait souhaiter comme fin de la guerre, l’être de la Grèce, obscurci depuis vingt-sept ans par la poussière des batailles, lui apparaissait de nouveau avec cette pureté raisonnable qu’il revêtait autrefois à Athènes aux yeux de Cimon. Elle avait dû céder aux Thébains dans l’affaire de la destruction de Platées, malgré la répugnance d’Archidamos, gêné par le souvenir de Pausanias et de la grande victoire où, sous un roi de Sparte, la Grèce avait été sauvée. Sans Platées, il y avait pourtant encore une Grèce. Sans Athènes, il n’y en avait plus. On entendait par Grèce un composé de plusieurs génies tantôt complémentaires et tantôt hostiles. Le jour où le génie d’Athènes manquerait à la Grèce, il n’y aurait vraiment pas plus de Grèce que si Xerxès eût vaincu à Salamine ou Mardonius à Platées, et pour Sparte même, alors, vaudrait-il la peine de vivre ?