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temps. Nous sommes devant des forces telles qu’il est aussi impossible de les borner en durée que de leur assigner une limite sur la mer. Thucydide nous dit que, dès le début de la guerre, il en a prévu la longueur. C’est possible. Et, dans les discours qu’il prête à Périclès à Athènes, et surtout à Archidamos à Sparte, toute la guerre est mise en lumière avec ses perspectives de durée interminable et de lente usure. Le 1er août 1914, M. de Bethmann-Hollweg eût lu avec un grand profit le discours du roi de Sparte. Les Lacédémoniens, dit Archidamos, pourront dévaster le territoire athénien, mais avec la maîtrise de la mer les Athéniens pourront toujours réparer leurs pertes et retrouver des ressources. Dès lors la guerre sera sans fin. « Il ne sera plus possible de quitter les armes avec honneur, surtout après avoir été les premiers à les prendre » (I, 80). Les Athéniens ne se rendront pas esclaves de leur territoire. Pas plus que les Français appuyés sur la flotte britannique. « À moins d’être les plus forts sur mer ou de leur enlever les revenus qui alimentent leur marine, nous subirons plus de mal que nous n’en ferons. » C’est toute l’histoire de l’Allemagne pendant la guerre. Il est vrai qu’elle a complété l’alternative d’Archidamos et essayé d’un troisième parti que les Grecs n’avaient pas prévu : être la plus forte sous mer, — ce qui ne lui réussit pas.

L’opinion que Thucydide prête à Archidamos ne paraît pas avoir prévalu à Lacédémone. Sparte, comme Berlin, confiante dans la supériorité de ses forces continentales, croit à un coup de massue, à une guerre courte. « Nous nous sommes trompés sur la durée des hostilités, dit Brasidas aux Chalcidéens. Nous avions espéré avoir promptement raison des Athéniens. » Brasidas a compris à la fois l’extension inévitable de la guerre