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et plus profondément que de tout autre peuple celle de leur patrie[1].

Les deux guerres n’éclatent point d’abord en pleine lumière sur une question vitale, mais de façon détournée et oblique, à propos d’un incident singulier et d’un pays en apparence secondaire, dont deux membres des alliances rivales se disputent la domination : les allaires de Corcyre font pendant à l’affaire de Serbie. Ici et là Corcyre et Serbie sont deux expressions géographiques qui signifient la même idée : l’une et l’autre figurent une porte, la porte essentielle d’un monde, une part significative et précieuse des biens pour lesquels doit s’engager la guerre. Corcyre, comme au temps d’Ulysse, est pour les marines grecques la porte de l’Occident, et la Serbie est pour l’Europe centrale une porte de l’Orient, un passage vers la Méditerranée.

Les deux guerres paraissent dès le début aux esprits clairvoyants se comporter comme des forces de la nature, qu’il est impossible d’arrêter avant qu’elles aient donné leur plein effet, occupé et épuisé une totalité d’espace et de temps.

Dans l’espace, elles s’étendent plus loin qu’aucune des guerres qui les ont précédées. Dans la guerre du Péloponèse, le Péloponèse lui-même n’est pas la partie du monde grec la plus directement touchée, mais tout le monde grec, depuis l’Euxin jusqu’à la Sicile, subit successivement l’ébranlement de la guerre générale. L’Asie Mineure, Chypre, l’Égypte sont attirées dans le tourbillon. Le monde grec de la Méditerranée orientale et centrale se comporte comme un monde fermé et total, et c’est dans la planète entière qu’en 1914 il trouve son

  1. Voir note III.