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Du jour où toutes les grandes puissances de l’Europe se sont trouvées partagées contre l’Entente et la Triplice, il était inévitable que tout conflit local amenât une conflagration générale[1]. Ce n’est pas à dire que les alliances sagement entendues ne puissent fournir une garantie réelle de paix. La politique de Cimon a valu à la Grèce gloire et prospérité. Et, dans la deuxième moitié du xviiie siècle, l’alliance franco-autrichienne a assuré la paix de l’Europe. S’allier, c’est pour les peuples comme s’attacher pour les alpinistes : la corde est par destination un instrument de salut, et procure parfois ce salut, mais il arrive aussi qu’elle entraîne toute la cordée dans la chute. Le malin est parfois celui qui tient, comme Tartarin et Bompard, son couteau prêt au bon moment.

En Grèce comme en Europe, les deux ligues n’entrent pas de gaîté de cœur dans la guerre générale. Les Péloponésiens, et surtout Lacédémone, ne veulent pas plus la guerre que ne la voulait l’Entente en 1914. Du côté adverse il y a, il est vrai, dans les mois qui précèdent les hostilités, une volonté formelle de guerre. Guillaume II en 1914 a cherché la guerre comme Périclès en 432 et comme les Girondins en 1792. Mais chez Périclès comme chez le Kaiser (la Gironde a été obligée, sitôt née, d’improviser ses résolutions), la volonté de guerre ne s’est pas produite sans un long conflit intérieur, des doutes et des angoisses. Et (quelle que soit la différence entre la claire intelligence de Périclès et le cerveau faible et fumeux de l’ancien empereur), aucun des deux ne semble avoir envisagé clairement la possibilité de ce qui, en fait, se réalisa : la ruine, ici de la Grèce et là de l’Europe,

  1. Voir note II.