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d’hommes, noyée d’aventuriers. Aucune guerre dans l’histoire n’a été plus radicalement que la guerre du Péloponèse une guerre sans vainqueurs, une guerre où il n’y a que des vaincus successifs. Aucune ne donne plus inflexiblement la sensation d’une chose politique qui se défait. Et dans l’ordre de la civilisation, à mesure que la politique se défait, à mesure aussi, avec Socrate et Platon, Euripide et Thucydide, et les grandes figures de la guerre, l’individu se construit. Mais l’individu ici nous offre sans doute sous une forme réduite, épurée, idéale, ce qui eût été, avec un autre pli de l’histoire, réalité politique. L’empire athénien s’est réalisé dans un monde supérieur où il a revêtu une essence incorruptible, et c’est les yeux fixés sur cette essence, comme le démiurge du Timée, qu’au sortir de Thucydide ou de Xénophon, on se plaît à imaginer le rêve de cet empire politique comme une ombre et une imitation de l’empire idéal. Le plus précieux de ce que nous pouvions souhaiter, nous l’avons. La Grèce éternelle que la guerre du Péloponèse laisse intacte et qu’elle nourrit, comme un printemps de fleurs poussées sur les cadavres ensevelis d’une grande bataille, c’est un ordre de héros vivants, de belles images et d’idées claires.