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Grèce, et surtout parce qu’elle eût été la première écrasée par la ruine de cette liberté. Mais quand la guerre fut devenue guerre à outrance et à mort, il fallut bien qu’elle dérogeât de ce principe et qu’elle sacrifiât tout à l’exigence de domination. Avant la paix de Nicias elle put encore, comme Athènes au temps d’Aristide, s’offrir avec Brasidas le luxe d’un héros désintéressé. Mais les Aristide et les Brasidas ne font que précéder l’heure inévitable des Thémistocle et des Lysandre.

Athènes est entrée dans la guerre pour maintenir et poursuivre sa volonté d’impérialisme et d’hégémonie. Elle a été considérée par les contemporains comme la puissance de proie. Elle a eu à leurs yeux le tort de s’élancer vers un but odieux par des moyens odieux. Elle a eu vis-à-vis de la postérité le tort de ne pas réussir. Et pourtant il est rare que cet échec ne suscite pas en nous un regret. C’est que d’abord nous y voyons l’échec d’Athènes ; c’est qu’ensuite nous y reconnaissons l’échec d’une idée.

L’idée de l’unité grecque, contre celle d’une libre société entre cités libres. Il fallait que l’expérience fut tentée. L’unité grecque, à quelque degré que ce fût, comme aux temps de Minos et d’Agamemnon, ne pouvait être réalisée, de la Sicile à l’Ionie, qu’au moyen d’une thalassocratie et au profit de la plus forte marine. Cette chance perdue, elle devait se faire par l’étranger et au profit de l’étranger, — les Perses au temps des guerres médiques si la marine d’Athènes n’avait été là, — les Macédoniens et les Romains.

Si Athènes avait réussi, un grand bien serait né de son succès. Elle eût exploité le monde méditerranéen avec une intelligence que nous laissent pressentir ses livres, ombre et substitut des actions qu’elle ne put accomplir.