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avoir parodié les mystères dans l’ivresse d’un souper, de quel cœur plus léger il se compromet auprès de nous dans le Banquet, en dévoilant un mystère moins fait encore pour devenir public ! (Et pourquoi le souvenir de l’un n’aurait-il pas donné à Platon l’idée de l’autre ?) Mais, à défaut de la réalité, il était naturel que le génie platonicien associât en un même couple la plus puissante nature qui fût à Athènes et le seul éducateur qui fût capable de la tourner par une grande discipline à une fin magnifique. Leurs âges, au début de la vie philosophique de Socrate, cadraient avec ceux d’un ἐραστής et d’un ἐρώμενος. Et Socrate, qui louait Zopyre d’avoir reconnu en lui le germe de tous les vices, maîtrisés par une discipline volontaire, voyait en cette nature d’Alcibiade le terrain d’un grand bien ou d’un grand mal, d’un grand désastre, celui même où s’abîma Athènes, ou d’un grand triomphe, celui qui aurait pu éclater si les Alcméonides eussent été des Médicis, si Alcibiade eût été, avec son génie, l’héritier et l’exécuteur testamentaire de son oncle Périclès. C’était possible. Le discours que Thucydide lui fait prononcer pour décider les Athéniens à l’expédition de Sicile est peut-être le plus beau de son livre. Il est plein d’intelligence ; ses arguments sont tels qu’ils font encore impression, qu’on se refuse à condamner cette expédition sous ce seul prétexte qu’elle ne réussit pas, et qu’on y voit la pleine logique de cette guerre maritime où le génie audacieux des Alcméonides avait poussé Athènes. Discours d’intelligence, mais plus encore d’énergie, tout entier tendu vers l’action. Aucun de ceux de Thucydide, sauf la courte allocution de Sthenelaïdas, n’a plus d’élan, n’est emporté par un mouvement plus savamment et plus irrésistiblement amplifié. C’est dans la conscience de sa vitalité, dans le