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le fils d’Alcibiade), quelle perspicacité, quelle descente du génie dans le cœur et dans la moelle de son héros ! Nul doute qu’en effet, au retour d’Alcibiade, Athènes n’ait vécu avec lui comme madame de Rénal dans la prison de Julien. Et pourquoi quelque chose de cela n’aurait-il pas été présent dans l’esprit de Thucydide ? Pourquoi cette phrase ne serait-elle pas inspirée de l’anecdote, de figure très authentique, qui nous montre la femme d’Alcibiade demandant aux juges le divorce, Alcibiade allant lui-même la chercher et la rapportant chez lui, malgré ses clameurs, dans ses bras au milieu de la foule qui sans doute admire ? La femme, à la réflexion, admira aussi et se désista de sa plainte. La foule estima sans doute qu’Alcibiade connaissait les femmes, et il se trouva que du même fonds Alcibiade connaissait Athènes. Je pourrais filer encore sur la pente immodérée qui me conduit aujourd’hui aux rapprochements, rappeler encore Lauzun. Je préfère m’arrêter en notant que Montaigne, le plus fin connaisseur en substance, en dessous, en musique propre d’une vie humaine, n’en voit pas qu’il lui eût été plus beau de vivre que celle d’Alcibiade.

Socrate, le taon d’Athènes, ne s’y trompait pas. Il reconnaissait dans la vie d’Alcibiade ce mouvement et cette flamme indomptables qui animaient sa pensée et qu’il eût voulu communiquer à Athènes. Probablement il n’y a qu’une galéjade de Socrate lui-même, amplifiée et idéalisée par Platon, dans l’histoire de ce grand amour du philosophe pour Alcibiade. « Nous sommes, tous deux, dit-il à Calliclès dans le Gorgias, pareillement amoureux, toi du Démos et de Démos fils de Pyrilampe, moi d’Alcibiade, fils de Clinias, et de la philosophie. » Et si Alcibiade se compromit auprès des Athéniens pour