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sa fortune, il sait administrer pareillement celle de l’État, conduire une armée, diriger avec circonspection la République dans la paix et dans la guerre. C’est une figure à peu près analogue au Giscon de Salammbô. Il pouvait appartenir à l’une de ces grandes aristocraties marchandes, Carthage ou Venise, la Hollande ou l’Angleterre, gouvernements dirigés par les familles les plus intéressées au bien public. Quand les réformes de Périclès ont enlevé à celles d’Athènes tout leur pouvoir politique, la démocratie sait comprendre qu’elle est solidaire des grandes familles et des riches, elle sait ne sacrifier aucun des éléments de la durée athénienne. Qu’est d’ailleurs le marchand de cuirs Cléon lui-même, sinon un enrichi de la guerre ? L’immense fortune de Nicias s’est faite, elle, dans les mines du Laurium dent il est le principal concessionnaire. Les Athéniens paraissent avoir aimé que leurs généraux eussent des biens personnels à défendre. Lamachos, brave soldat et général éprouvé, est sans cesse raillé des poètes comiques à cause de sa pauvreté.

En général, pour les Athéniens, un honnête homme demeurait un honnête homme même s’il était pauvre, mais il paraissait encore plus honnête s’il était riche. Le mépris professionnel des richesses est confiné dans les écoles de philosophes à partir de Socrate. Quand Solon fait à Crésus le portrait de l’homme le plus heureux qu’il ait connu, Tellus d’Athènes, il a bien soin de le présenter comme jouissant d’une bonne aisance, et Aristote lui-même fera rentrer la bonne chance dans la perfection d’une belle destinée humaine. Tous les sentiments qu’un Athénien ordinaire devait éprouver à l’égard d’un homme comme Nicias, voyez-les exprimés par Platon dans les premières pages de la République