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sion pareille. L’essentiel pour le flatteur est de fermer aux discours des autres l’oreille de celui qui l’écoute, par un discours qui épouse la passion et l’intérêt de sa dupe, et paraisse à celle-ci moins une parole extérieure qu’une véritable voix intérieure.

Tout cela était dans la logique de cette démocratie que Périclès avait voulue. Il l’avait rendu possible en abattant lui-même tout reste d’institution aristocratique, en créant le milieu qui fût le plus favorable au miracle de son autorité personnelle. Mais ce miracle, qui ne s’est guère réalisé qu’une fois dans l’histoire du monde, (à moins qu’on ne veuille, ce qui est après tout permis, comparer Cosme de Médicis à Périclès), ne pouvait évidemment plus se produire dans une Athènes en pleine guerre. L’empire de Périclès, comme celui d’Alexandre, ne comportait pas l’idée de leur mort. Ou plutôt l’empire de Périclès comportait, après la mort du premier citoyen, des natures politiques comme celles de Cléon et de Nicias, et leur antagonisme. Mais Périclès avait, en somme, imposé à Athènes, à la démocratie athénienne, certaine atmosphère d’esprit politique, d’intelligence, qui subsista, et qui, malgré de lourdes fautes, nous montre cette démocratie soutenant généralement avec décision, lucidité, courage, la guerre où se joue l’existence d’Athènes. Dans ce grand fait unique et simple qu’est la démocratie impérialiste et guerrière d’Athènes au temps de la guerre du Péloponèse, Thucydide, qui voit les hommes de près, séparés et ennemis, a isolé pour les mettre en relief deux figures en apparence opposées comme Périclès et Cléon. À la distance où nous sommes placés aujourd’hui, et à la lumière d’une pensée historique qui prolonge en l’intensifiant celle même de Thucydide, ces individualités