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deux visages contraires de la démocratie athénienne. Le gouvernement de Périclès, c’est la démocratie en confiance avec l’intelligence, le gouvernement de Cléon, la démocratie en défiance contre l’intelligence. Cléon (tout au moins le Cléon de Thucydide) voudrait voir les Athéniens comprendre que « l’ignorance avec la modestie vaut mieux que l’habileté avec la jactance, et que les gens médiocres sont, plus que les hommes trop intelligents, aptes au gouvernement des États. » (III, 37), et cela parce que les médiocres, eux, ne cherchent pas à briller et ne veulent pas en savoir plus que les lois. Certainement cela pourrait, avec de la bonne volonté, coïncider avec l’ironie de Socrate et son aveu d’ignorance, mais l’aveu d’ignorance et de médiocrité n’est, chez le rusé et violent corroyeur, qu’un moyen de faire sa cour au peuple et de se mettre à son niveau pour le mieux conduire.

L’art de la parole a par lui-même ce caractère de flatterie, dont Platon dans le Gorgias dénoncera subtilement toutes les formes. À vrai dire l’éloquence démonstrative de Périclès, l’apologie d’Athènes qui occupe le ventre de son oraison funèbre, constituait un monument de magnifique flatterie, mais dans la mesure où l’Athéna d’ivoire et d’or était une flatterie à l’égard de la déesse protectrice. Cléon donne l’occasion à Thucydide de reconnaître, comme Aristophane et Platon, dans le gouvernement des orateurs le gouvernement de la flatterie. Qu’il s’agisse d’un homme ou d’un peuple, la flatterie procède par des moyens analogues et assez simples. Quand le peuple remet en délibération de massacre, voté précédemment, des Mityléniens, on retrouve dans le discours de Cléon l’armature logique des propos de Narcisse lorsque Néron est revenu sur une déci-