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Lorsque Cléon rappelle que la domination d’Athènes n’est fondée que sur la force et que c’est a une véritable tyrannie, imposée à « des hommes malententionnés et qui n’obéissent qu’à contre-cœur. » (III, 37). Cela pourrait être signé de Cambon organisant les réquisitions en Belgique ou du Directoire lançant Brune au pillage de la Suisse. Et si les troupes des Soviets sortaient de Russie, on verrait mieux encore comment une démocratie fait obéir les ἐπιβουλεύοντες. Une seule raison compte, celle de la force ; de la guerre est sortie dans Athènes cette doctrine de fer, que nous voyons chez Cléon au service de la démocratie, mais que le Critias de Platon nous montrera au service de l’oligarchie, et qui provoque avec Socrate et Platon la réaction des philosophes. Lorsque Brasidas veut donner à la guerre qu’il mène en Thrace les caractères d’une vraie guerre de libération et qu’il se défend de vouloir asservir personne, il dit : « Les mêmes reproches que nous adressons aux Athéniens, nous viendrions à les encourir nous-mêmes, d’autant plus justement qu’eux du moins ne se piquent pas de vertu. » (IV, 86). Cléon est le type de ces Athéniens qui ne se piquent pas de vertu, ne se piquent que d’être forts, et fidèles encore tout de même au principe de nudité et de probité qui gouverne la sculpture attique, celle du marbre, du bronze et de l’homme, étalent franchement leur impitoyable pensée. Le tournant moral qu’a signalé Thucydide après les massacres de Corcyre paraît ici dans la cité athénienne.

Mais si la politique est la même au temps de Périclès et au temps de Cléon, si elle consiste alors également à tendre jusqu’au bout et sans considération étrangère les énergies de la guerre, elle est appliquée par des esprits bien différents, et de l’un à l’autre on voit se succéder