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peindre sous des couleurs favorables l’homme qui la représente. Observons cependant qu’un tempérament comme celui de Cléon est presque impliqué par l’état de fièvre obsidionale qui accompagne dans l’Athènes d’alors comme en la France de 1793 et de 1917 cette véritable guerre de siège. « Athènes n’avait pas de citoyen plus violent ni plus écouté du peuple. » (III, 37). Il garde d’ailleurs sa popularité jusqu’au bout, ce qui aurait dû lui être bien difficile s’il avait été vraiment le prévaricateur et l’orateur vénal dont parle Thucydide. Périclès avait été mis à l’amende parce qu’on lui reprochait son parti-pris inflexible de guerre à outrance. Jamais rien de tel n’advint à Cléon, qui, bien plus encore que ne l’avait fait Périclès, représente à Athènes l’esprit de la guerre jusqu’au bout et par tous les moyens. Après le règne du premier citoyen est venu le règne du citoyen le plus fort, beaucoup au sens physique du mot, le plus fort par ses poumons, par son audace, par sa présence d’esprit, par sa connaissance du peuple athénien. Mais, comme le triomphe de la démocratie est l’œuvre de Périclès, la politique et l’influence de Cléon étaient contenues dans celles de Périclès et impliquées dans sa succession. Périclès avait évidemment pratiqué la modération par sa discipline intérieure, par la belle œuvre d’art qu’était la construction de son être intelligent. L’avait-il pratiquée et conseillée comme un principe de gouvernement pour cet empire athénien dont il était le chef ? Pas du tout. Athènes doit commander aux Grecs qu’elle régit, comme le faisaient les Perses, en tirer ces forts tributs qui lui serviront à bâtir l’Acropole et à jeter sur l’Athéna de Phidias, par ses armes et son vêtement d’or, le trésor de l’État, se résoudre à n’être pas aimée, être déterminée au moins à se faire craindre.