Page:Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des Mémorables que dans sa transfiguration platonicienne, le dirige vers un inventaire de ses ressources, de sa nature, de ses idées. C’est dans ce rythme général et dans ce chœur suprême qu’on peut apercevoir Périclès. Thucydide a montré en lui le premier citoyen, le chef politique de la cité, et aussi, sur un plan plus haut, dans l’oraison funèbre des premiers morts de la guerre, le définiteur d’Athènes, l’intelligence qui par un jeu de concepts en formule une idée claire et une image plastique. L’Athènes de ce discours est une œuvre d’art et de pensée comme l’Histoire de Thucydide. Elle nous donne le point de perspective d’où nous apercevons la suite de l’Athènes universelle, et si l’empire athénien que Périclès rêvait s’est abîmé dans les accidents d’une démocratie trop ardente, un autre empire, l’Athènes vraie du vrai Périclès, s’est trouvé établi sur une aire perdurable.

N’oublions pas ce que nous avons déjà rappelé, que le jugement de Thucydide sur Cléon n’est probablement pas impartial. Pourtant, même si Cléon n’avait été pour rien dans son procès, on peut croire que Thucydide aurait parlé de lui exactement dans les mêmes termes, sauf peut-être qu’il ne lui aurait pas attribué, à Amphipolis, la lâcheté de s’être fait tuer en fuyant. C’est que Cléon s’oppose à Périclès comme le θυμός au νοῦς, et qu’il figure, dans la guerre du Péloponèse, une valeur nécessaire, précisément cette démocratie oratoire qui entraîne Athènes jusqu’au désastre, hors des voies définies par Périclès. Thucydide, qui estime que la guerre a été perdue par cette démocratie, ne saurait