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cité qui gouvernait un empire ; de là l’expédition de Sicile. » (II, 65). La pensée de Thucydide, née de l’expérience de cette guerre et de méditations sur les enseignements de Périclès, est donc qu’un empire ne peut pas être gouverné par une cité, il ne peut l’être que par un homme. Athènes a tenté, à ses risques et périls, une grande expérience : fonder un empire maritime gouverné par une cité démocratique, empire maritime et institution démocratique s’étant d’ailleurs accrus et accentués en même temps. L’expérience a échoué parce qu’il y a opposition entre les deux idées, celle de l’empire et celle de la démocratie. Thucydide ne se demande pas si elle n’eût pas été tentée avec plus de chances de succès par une cité gouvernée aristocratiquement. Il ne se le demande pas parce qu’il n’y en a eu encore, de son temps, aucun exemple, et que Carthage et Venise constituent des réalités politiques nouvelles, sans commune mesure avec les cités grecques. La conclusion implicite de Thucydide est qu’un empire ne pouvant être fondé ni gouverné par une cité, il ne peut l’être que par un homme, une dynastie, une monarchie. Cette conclusion implicite s’explicite dans la génération qui suit Thucydide. Xénophon, en sera hanté et la fera cristalliser autour de Cyrus le Jeune, d’Agésilas, de Cyrus l’Ancien. Isocrate résumera dans le discours de Nicoclès les arguments en faveur de la monarchie. Platon même, philosophe de la cité limitée, ennemi de ces États malsains et gonflés d’humeurs que sont les empires, mettra à l’horizon du Politique et de la République une belle image idéalisée du roi. Le chœur des esprits paraît se grouper autour du piédestal qui attend la statue d’Alexandre. Mais Alexandre ne fait ici qu’un éclair éblouissant, sans lendemain d’institution poli-