Page:Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/206

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rope avec l’Empereur catholique et empêche la guerre de se terminer victorieusement. Et il n’arrive pas aux généraux de Louis XV de cumuler deux qualités aussi différentes que celles de savoir battre Frédéric et plaire à la marquise de Pompadour. Le zèle religieux qui fait rappeler Alcibiade pour répondre des quelques nez qu’on a cassés aux Hermès, et celui qui exige que tous les sujets d’un roi partagent son opinion sur la présence réelle, ont pu passer pour de belles choses et même en être réellement : ils n’en ont pas moins contrecarré de grands desseins politiques, et le politique pur ne leur veut aucun bien. Et après tout les passions d’une démocratie, les nerfs d’une favorite peuvent être compris dans les dangers normaux d’une armée aussi bien que les vents d’ouest dans ceux de l’Armada, ou l’hiver prématuré dans ceux qui attendent Napoléon à Moscou.

En d’autres termes le caprice qui ruina l’expédition de Sicile peut ne pas diminuer l’estime pour la pensée qui la fit concevoir et l’organisation qui la mit à flot. Pas plus que l’échec de la guerre du Péloponèse, dû selon Thucydide au gouvernement démocratique, ne diminue l’estime de Thucydide lui-même à l’égard de Périclès, qui à la fois voulut cette guerre et fit triompher le parti et les institutions démocratiques. Mais, dit Thucydide, le gouvernement de Périclès n’était pas démocratique, c’était le gouvernement du premier citoyen : λόγῳ μὲν δημοκρατία, ἔργῳ δὲ ὑπὸ τοῦ πρώτου ἀνδρὸς ἀρχή. Après lui au contraire vient la démocratie oratoire. « Ceux qui lui succédèrent, et qui, sans posséder de supériorité réelle, voulaient atteindre au premier rang, flattaient les désirs du peuple et lui livraient la conduite des affaires : de là toutes les fautes que pouvait commettre une grande cité, une