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même, la respiration, le rayonnement de la cité, et qui s’énoncent quand on laisse parler en soi les guerriers morts pour elle. Ce raccourci de Thucydide est de tous les temps. « Les Athéniens en tant que citoyens étaient persuadés par les discours de Périclès, et, renonçant à députer encore auprès des Lacédémoniens, se passionnaient pour la guerre ; mais en tant que particuliers ils déploraient leurs maux. Le peuple s’affligeait de perdre le peu qu’il possédait, les riches d’avoir perdu leurs beaux domaines de la campagne, leurs maisons et tout ce qu’elles contenaient de choses précieuses ; surtout on gémissait d’avoir la guerre au lieu de la paix. Cette colère générale ne put s’apaiser que par une amende infligée à Périclès. Puis, par un tour familier à la multitude, on le réélut général et on le mit à la tête de tout : car, pour ce qui était des maux privés on commençait à s’y résigner, et pour ce qui était des affaires de l’État on le croyait seul capable de les conduire » (II, 65). Ce tour naturel à la multitude est précisément un retour de la multitude à la logique de l’État, l’acte de raison par lequel la nature naturée de la démocratie revient à une nature naturante (toute la phrase grecque, intraduisible, est construite sur des oppositions entre ces deux natures), et, sous la pression du danger, la foule impulsive prend cette conscience de la fin et des moyens que n’a cessé de représenter Périclès.

Cette fin et ces moyens Périclès les accepte dans toute la dureté qu’ils impliquent pour lui-même, dont la guerre ruine la fortune, la popularité, et qu’elle tue sans entamer son énergie, — dans toute la dureté qu’ils impliquent pour Athènes, dont les campagnes sont dévastées par l’ennemi, la population décimée par la