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et de Platon, il semble que Périclès en réalise, par les esprits confondus de la sculpture et de la philosophie, le type plastique. Calme dans la tempête, il s’identifie avec les intérêts d’Athènes comme le corps et la main de pilote avec les mouvements de son navire. Il ramasse dans un moment du temps, dans la durée d’une vie humaine, tout ce que l’idée d’une dynastie royale implique de permanence et de vigilance continuée. Au moment de la peste il parle aux Athéniens comme Louis XIV, parmi les tentures de deuil à Marly, parle à Villars : « Imposez donc silence à vos douleurs particulières, pour ne vous préoccuper que du salut de l’État. » Et dans l’épidémie qui l’a marqué comme sa prochaine victime, il est l’idée de ce salut. Il requiert d’Athènes une pensée lucide et une énergie tendue, à l’image des siennes. Son intelligence est installée dans la force maritime, dans la ville de bois. Elle en est superbement captive, comme les Athéniens sont captifs et solidaires de l’héritage qu’ils ont reçu. Il ne s’agit pas de discuter cet héritage comme s’ils en étaient les maîtres, mais bien de lui obéir parce qu’il est leur maître : « Il en est de cette domination comme de la tyrannie, dont il est injuste de s’emparer et dangereux de se dessaisir. »

Le Périclès de Thucydide tient dans les trois discours qui lui sont prêtés. Deux expriment sa prévoyance et son action, et le troisième, l’oraison funèbre, figure les nappes spirituelles qui, au profond d’une âme et d’un peuple, rendent possible cette prévoyance et efficace cette action. Le premier discours expose les raisons de faire la guerre, le dernier les raisons d’y persévérer dans les misères qui en ont marqué le début, et, entre les deux, l’oraison funèbre, comme une Acropole, établit ces raisons permanentes qui se confondent avec l’être