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ponèse prise, comme entre une Ergané et une Parthénos, entre deux réalités d’intelligence, les deux formes mêmes de l’intelligence. D’un côté l’intelligence tendue vers l’action, toute à l’appréhension du futur qu’elle attend, prévoit, palpe, mesure par les analogies de son expérience et les ressources de l’imagination anticipatrice. De l’autre l’intelligence détendue après l’action, alors que l’action est devenue du passé, et qui étend sur ce passé maintenant clair et docile son regard ordonnateur. C’est-à-dire quand la guerre commence l’intelligence d’un Périclès, et quand la guerre est finie l’intelligence d’un Thucydide. Mais toutes deux sont les espèces d’un même genre, et, séparées par la réalité de la guerre, elles s’unissent dans ce que Nietzsche appellerait la même amitié stellaire. Thucydide, qui reconnaît, aux origines de la guerre, cette présence de la Pensée, dont son histoire est inspirée, défend Périclès de toute responsabilité dans les désastres d’Athènes, tient à maintenir intacte au seuil cette image de la pensée lumineuse et juste. Et si Périclès avait pu entrevoir que la guerre voulue par lui aboutirait certes à Lysandre, à la prise d’Athènes et à la destruction des Longs-murs, mais aussi à ce fruit plein et mûr de l’intelligence qu’est le récit de Thucydide, peut-être l’ami d’Anaxagore eût-il jugé que son œuvre tout de même serait bonne, et que les dieux, comme de justes maîtres, sur des voies inattendues, choisissaient pour elle le meilleur.

Thucydide, c’est l’idée claire et distincte de la guerre du Péloponèse devenue du passé. Périclès c’est l’Idée claire et distincte de la guerre dans son acte, idée maintenue inflexiblement et prise comme charpente de l’action par une volonté ferme Ce pilote idéal, qui revient si souvent dans les comparaisons politiques de Socrate