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le poids, y soient moins sensibles que nous qui en cueillons la fleur.

Cela d’ailleurs Périclès n’en conviendrait guère, puisque son oraison funèbre s’étend avec complaisance sur les avantages que les alliés et même tous les Grecs tirent du bon accueil d’Athènes et de sa domination bienfaisante. Et il ressort pourtant de Thucydide que cette domination est considérée par les Grecs comme un danger mortel, et que les alliés n’attendent que le moment (le désastre de Sicile par exemple) de secouer le joug. Au fond les deux points de vue sont justes. La domination d’Athènes est facile aux individus. Aucune cité grecque n’attire plus bienveillamment les étrangers. Tout étranger, et plus spécialement tout allié, peut venir faire du commerce à Athènes, s’y enrichir sous la protection des lois, participer à la vie aimable de la cité. « Notre ville est ouverte à tous : ce n’est pas nous qui par des lois de xénélasie écartons les étrangers d’une étude ou d’un spectacle dont nos ennemis pourraient profiter. » (I, 39). Au contraire les Lacédémoniens ne veulent pas d’étrangers par crainte de laisser surprendre leurs secrets. L’épaisseur de légende et de mystère qui a toujours subsisté autour de la vie intérieure et de la constitution lacédémoniennes fait voir que si tel était le dessein des Spartiates ils ont en somme réussi. Il ne serait pas étonnant que Thucydide, si bien accueilli pendant son exil dans les pays de la confédération péloponésienne, n’eût jamais pu aller à Sparte. Autant Sparte est méfiante devant les curieux, autant Athènes, pays de la curiosité, leur est avenante et facile. Il est bien naturel que ce grand curieux, le Père de l’histoire, ait trouvé dans Athènes, puis dans la colonie athénienne de Thurii, de nouvelles patries. Si Athènes peut se faire