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avec la curiosité de voir le destin résoudre un beau problème.

L’intelligence et l’argent comportent d’ailleurs ici deux visages qui ne diffèrent pas trop. Appliquée au gouvernement, à l’éloquence, à l’art, à la poésie, l’intelligence est à Athènes une chose de vie, de souplesse et de force. Périclès, tout le long de son oraison funèbre, reste préoccupé d’y faire sentir cette fraîche et ductile spontanéité. Il semble de même qu’il y ait dans le génie d’Athènes une exigence de donner à l’or qu’elle reçoit une figure intelligente ou dramatique, et, au contraire des thésauriseurs d’Orient de ne voir en lui que le moyen d’une belle œuvre ou d’une belle aventure. Le trésor des alliés fut utilisé par Périclès, successivement, pour deux fins : il en bâtit d’abord l’Acropole, il en fit ensuite la guerre du Péloponèse, cette guerre qui eut tout de même, par le livre de Thucydide, son Acropole d’intelligence. Même la réserve ne s’entasse point dans une cave. Nos banques d’État s’ingénient aujourd’hui à faire produire des intérêts aux réserves dont elles sont comptables. Athènes fait produire à la sienne des intérêts de beauté, en ciselant cet or et en le plaçant comme vêtement et comme bijoux sur l’Athéna d’ivoire, à laquelle on l’empruntera au cas de besoin.

Ainsi jamais or ne fut employé plus pleinement et plus superbement dans l’intérêt de l’humanité. Mais intérêt bien lointain, puisque de cette fortune sortit d’abord, avec les grandes ambitions, la guerre qui ruina la cité grecque. Et puis cet intérêt humain qu’un Périclès aperçoit en somme (c’est ce qui donne à son panégyrique d’Athènes une valeur éternelle) et qu’Athènes identifie avec son intérêt politique, on comprend que les Grecs, et en particulier les alliés, qui en supportent