Page:Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

connaissance de cause chez un Périclès, ne demeurer sensibles qu’à l’enchaînement serré des périodes et à ces puissantes pièces de rhétorique aussi pures que les architraves du Parthénon. De cette oraison funèbre nous gardons surtout une idée d’aisance et de loisir, d’humanité élastique et spontanée, lumineuse et libre, qui est comme l’abeille au cœur de la fleur de marbre et d’eau bleue, et que nous sentons encore au centre de notre tradition classique. Et cela c’est bien en effet la tradition classique qui commence. Le discours funèbre que Thucydide met dans la bouche de Périclès, cet exposé lumineux et fort du génie d’Athènes, doit demeurer sans doute entre Périclès et Thucydide comme une propriété indivise : sur des idées nées autour de Périclès, d’Anaxagore, de Phidias, Thucydide a posé dix années de ses propres réflexions, dix années d’Athènes où l’on vivait double et où la pensée allait vite ; il y a employé cet appareil d’antithèses balancées qu’il avait apprises de Gorgias et d’Antiphon ; il a construit une figure idéalisée d’Athènes qui rappelle le Thésée du Parthénon. Mais cette figure idéalisée, cette figure classique, il semble qu’elle sorte un peu de l’histoire de Thucydide, qu’elle soit plus philosophique qu’historique, plus juste pour nous qu’elle ne pouvait l’être pour des Grecs, même pour des Athéniens d’alors. Il existe un singulier contraste entre ce caractère intellectuel, idéal et lumineux de l’Athènes oratoire, poétique et plastique, et le caractère réaliste, avide et dur de la politique athénienne pendant la guerre du Péloponèse. Cette Athènes divinisée peut sembler vraie aux Athéniens qui groupent sur elle leurs pensées les plus belles, comme Phidias avait disposé, en l’y ciselant, l’or d’Athènes sur l’Athéna d’ivoire. Elle n’est pas vraie pour ses ennemis, ni même,