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Évidemment ils quittaient cette terre pour mieux la défendre, ils en abandonnaient le corps pour en mieux protéger l’âme, comme la France abandonna cinquante mois ses provinces envahies, et sauva la liberté de ses villes en les écrasant sous ses canons. Mais l’arrachement pour les Athéniens était plus fort peut-être, car ils vivaient dans un de ces moments tragiques où l’on délaisse et sacrifie une mère pour suivre une femme. Nulle tradition ne rendait les Athéniens plus fiers que celle de leur autochtonie. Leurs poètes tragiques, bons courtisans, la leur rappellent toutes les fois qu’ils peuvent. Et le Périclès de Thucydide n’y manque pas : « Cette contrée que la même race d’hommes a toujours habitée, leur valeur nous l’a transmise constamment libre. » (II, 36). Ils sont attachés à cette terre, demeurée toujours libre et leur, par des liens qui leur paraissent plus forts que ceux des Lacédémoniens avec la Laconie, de Sparte campée précairement dans une contrée où elle se maintient par le droit de conquête, par la dure et cruelle tension de sa discipline. Marathon et Salamine sont les fleurs naturelles, celle de mer et celle de terre, pour un pays qui respire le civisme et la liberté.

L’être de Sparte c’est sa tension, son τόνος, et le génie d’Athènes se flatte au contraire de fleurir dans l’aisance et dans la liberté. L’oraison funèbre prononcée par Périclès en fait grand cas et les oppose avec quelque insistance à la raideur et à la contention de la maison d’en face. Il est entendu qu’Athènes est le seul pays où l’on comprenne la vie. Et l’éloquence démonstrative (ainsi nommée, dit le proverbe scolaire, parce qu’on n’y démontre rien), ces tirades où l’on se flatte de ne point ressembler à cet injuste et à cet orgueilleux qui…, nous en connaissons assez les lois pour l’apprécier en