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Fata volentem ducunt, nolentem trahunt. S’il est dans la destinée de tout peuple (presque toujours virtuelle et irréalisée) de fonder un empire comme il est dans la destinée de tout individu (et dans la vie de si peu) de réaliser une histoire pleine, complète et libre, il paraît certain que Lacédémone fut entraînée à cette destinée malgré elle et qu’Athènes voulut, épousa ardemment la sienne. Si allègre et si forte pourtant qu’ait été cette volonté, la guerre n’en représente pas moins pour Athènes un arrachement d’abord douloureux à une vie coutumière et confortable dont les horizons limités disposaient, pour le plaisir des yeux et la joie de la vie, bien des plans délicats. Notre Provence a gardé de vieux traits de nature méridionale qui nous rappellent l’Attique. Est-il permis de songer ici aux regrets de Tartarin-Sancho quand Tartarin-Quichotte l’entraîne à sa guerre du Péloponèse et à son expédition de Sicile, je veux dire aux lions, à la Jungfrau et aux îles sauvages ?

Naturellement, originellement, l’Athénien est un campagnard. La maigre Attique, au moment où s’ouvre la guerre, est couverte de petites « campagnes » où poussent quelques oliviers et un peu d’orge, habitées par un ou plusieurs esclaves, et où l’Athénien passe volontiers sa journée, partie à de menus soins de propriétaire, partie au loisir et au crissement des cigales ; parfois c’est une grande propriété comme celle d’Ischomachos, plus souvent le bastidon marseillais ou le mazet de Nîmes. La guerre du Péloponèse, la randonnée annuelle des Lacédémoniens en Attique, marquent la ruine et la fin du mazet. Cette vie rustique et savou-