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et un débris, éprouvèrent peut-être déjà cette poésie des ruines que les Orientaux et les Grecs ignorèrent et que les grands Latins allaient donner à l’humanité. Mais aussi, dans ces corporations de devins, où l’esprit était tendu tout entier vers le futur, où l’on contractait comme à Delphes un sens inquiet et scrupuleux de l’avenir pareil à celui du passé chez nos historiens, peut-être, en pensant aux six livres perdus, dut-on songer que cette proportion d’un tiers dans notre connaissance possible de l’avenir était à peu près normale et proportionnée à l’intelligence humaine. L’étude de l’histoire peut nous amener à conclure qu’en matière historique il y a des lois et que ce qui a été sera. Elle peut aussi nous conduire à penser que la durée historique comporte autant d’imprévisible que la durée psychologique, et que l’histoire figure un apport incessant d’irréductible et de nouveau. Les deux raisonnements sont également vrais et se mettraient face à face comme les preuves des antinomies kantiennes. Mais à la longue l’impression nous vient que dans la réalité les deux ordres auxquels ils correspondent sont mêlés indiscernablement, que ce qui est raisonnablement prévisible existe, débordé de toutes parts par ce qui ne l’est point, par ce qui a pour essence de ne point l’être, que l’intelligence humaine, appliquée à la pratique, doit sans cesse faire une moyenne entre les deux tableaux, et que cette proportion d’un tiers prévisible (dépourvue de sens au point de vue théorique) constituerait une croyance pragmatique assez saine, fournirait une bonne base à la sage Descartomancie que prêche un journaliste qui n’est point du tout une bête, M. Louis Forest.

Ce tiers prévisible, fondé sur la régularité des lois de l’univers, suffit, quand nous savons l’exploiter, à