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C’est alors que chez ce peuple lourd, mais sérieux et d’esprit juste, inhabile à étaler la parole, mais habile à rompre d’un mot l’artifice d’un discours captieux, mal propre à faire jaillir des individualités originales, des Alcibiade et des Socrate, mais apte peut-être à engendrer dans la mesure et dans la force le type classique du héros grec, se produit, sous la pression du péril, une véritable mutation brusque, ou plutôt son apparence, puisqu’il n’est pas difficile de voir par quelle pente la nature de Sparte se portait alors de ce côté. Sur ce sol guerrier, le génie de la guerre, un instant abattu, rebondit et trouve une issue pour sortir d’une impasse tragique.

Sparte, ville de la loi, de l’obéissance à la cité, du conformisme, devient un atelier d’hommes. En l’espace de quelques années, on se met à demander à Sparte des chefs, que l’on estime plus précieux que des troupes. C’est ainsi qu’elle sauvera Syracuse en lui envoyant Gylippe. C’est ainsi que grandit rapidement la génération du grand homme qui terminera victorieusement la guerre, Lysandre, et celle du grand homme qui la reportera chez les Barbares, Agésilas. Sparte qui pensait et agissait à coups de tradition va penser et agir à coups d’hommes, l’individu va relever la cité compromise sans que jamais le rêve de la tyrannie contamine, comme jadis dans l’aventure isolée de Pausanias, son éclat héroïque. C’est l’année même la Sparte traditionnelle touche à la prostration lourde qu’analyse Thucydide, l’année de Sphactérie et de Thyrea, que cette Sparte nouvelle d’énergie, d’invention et de risque se lève avec Brasidas.

Brasidas, fils de Tellis, est, nous dit Thucydide, le premier Spartiate qui dans cette guerre obtint à Sparte