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dans l’élément le plus traditionnel de leur État, dans leurs rois. C’est par lourdeur et candeur, que Plistoanax, en Attique, avait laissé autrefois échapper une grande victoire, et le discours que prête Thucydide au roi Archidamos avant la guerre nous donne de partout la forte sensation de cette réserve loyale, épaisse et gauche. Les Lacédémoniens défendent par de mauvaises raisons leur maxime de ne jamais poursuivre l’ennemi après une victoire : elle s’explique surtout par un manque d’allant, d’audace spontanée et inventive. Leur supériorité militaire ne provient que de leur valeur individuelle, de leur sang-froid et de leur bravoure. Il suffit d’un peu de manœuvre aux Athéniens pour les enfermer dans Sphactérie, et c’est sous les coups d’un grand manœuvrier que s’écroulera l’armée de Sparte : Épaminondas, après sa manœuvre de Leuctres, ne se mettra même pas en peine d’en imaginer une autre à Mantinée, où la même réussira encore. Même incapacité manœuvrière des Lacédémoniens en politique. Comme le leur disent les Corinthiens : « Pour une ville pacifique rien de mieux que le gouvernement de l’immobilité ; mais quand on est engagé de force dans beaucoup d’affaires, il faut savoir se débrouiller (πολλῆς καὶ τῆς ἐπιτεχνήσεως δεῖ) et c’est pourquoi le génie industrieux des Athéniens sait bien mieux que le vôtre leur ouvrir des voies nouvelles. » (I, 71).

Ainsi cette huitième année de la guerre paraît avoir consacré le triomphe de la mobilité ionienne sur la lourde solidité dorienne. Sparte, telle que la peint alors Thucydide, ressemble à la poignée de ses hoplites entourés à Sphactérie par les soldats légers, les archers, la cendre du bois incendié. « Cette rapide succession de calamités les avait frappés de stupeur. »