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donneront moins d’enfants, mais ils laisseront plus longtemps le jeune homme tout à la cité, à la guerre, ne regardant que devant lui dans la direction de l’ennemi et non derrière lui dans celle de son foyer. Si le génie intérieur de la cité, et en somme la raison même, conduisent Sparte à incliner de ce côté la solution de l’angoissant problème, la question du nombre n’en subsiste pas moins au centre même de l’intelligence qui ordonne Lacédémone. Pareille rigoureusement à un individu vivant, Sparte se sent acheminée vers la mort par l’acte même qui l’oblige à se ramasser pour vivre et par la tension qui l’épuisé. Cette forme fière de la vie grecque est bien un ensemble de forces qui luttent contre la mort, contre une mort qu’elles savent inévitable, mais qu’il est beau de reculer, selon le mot du vieil Horace, ne fût-ce que d’un jour ou d’un instant : les Trois Cents qui tiennent aux Thermopyles, pour être tués après s’être défendus et avoir tué le plus longtemps possible, sont une figure claire et complète de leur cité. Si Xerxès avait campé sur les ruines dévastées de Sparte et sur les corps abattus de tous ses défenseurs, Sparte eut duré moins longtemps, moins richement, moins tragiquement ; elle eût pourtant accompli l’essentiel de son destin.

L’essentiel d’un destin que résuma aux Thermopyles l’épitaphe de Simonide : obéir à une loi. Il est admis en Grèce que Lacédémone représente par excellence cette chose toute grecque, ignorée du reste du monde oriental et qui fonde non seulement la cité, mais la science et la philosophie : le règne de la loi, et, plus encore, l’héroïsation de la loi. La loi oppose un être abstrait, rationnel et fixe à la domination personnelle et arbitraire d’un homme. C’est ce que dans Hérodote Démarate apprend