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de Sparte c’est un camp romain qui au lieu de durer une nuit durerait dix siècles. Évidemment, même pour les Spartiates, c’était une épure idéale : quelques générations à peine après l’établissement des Doriens ou la législation de Lycurgue, les hommes d’âge, à chaque génération, ont dû aller répétant que l’ancienne discipline se mourait et qu’il fallait réagir. Cela c’est la vie, qui se compose d’un droit et d’un fait, comporte toujours une marge entre l’un et l’autre, et implique sûrement un dialogue interminable et violent entre ceux qui gardent les yeux fixés sur le droit et ceux qui se trouvent confortablement installés dans le fait.

L’être de Sparte est fait d’une continuité à l’état de tension, la continuité d’une race, la continuité d’une loi, et Sparte connaîtra un grand drame intérieur quand la complexité de la guerre lui interdira de suivre cette avenue si commode à son tempérament et de pratiquer la continuité d’une seule politique.

Continuité d’une race. Il faut que ce groupe de neuf mille Spartiates se maintienne dans le temps comme dans l’espace. De là les nécessités d’élevage que l’on connaît. Mais de là aussi un double besoin pour la cité : le besoin de jeter à la bataille les hommes mêmes, de les prendre pour murailles, de s’interdire les remparts de pierre qui diminueraient la confiance en l’homme, et le besoin contraire de compter ses hommes avec angoisse comme un avare compte son or, sentant que chaque guerrier mort emporte irréparable une pierre de la cité. Dans ce conflit tragique, les soins de la défense contre un danger qui peut anéantir d’un seul coup la race l’emportent sur ceux de la défense contre un danger qui ne risque que de l’anéantir lentement. Le soin de la qualité prime sur celui de la quantité. Les mariages sont tardifs : ils