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d’aujourd’hui, crasseux et magnifiques. Ils portent tout sur eux, des vêtements éclatants, de l’or, du fer. Il y a une Grèce classique quand on dépose tout cela, comme il y a une France classique quand Malherbe vient. Les Doriens de Lacédémone déposent le luxe, déposent leurs vêtements pour se montrer forts, nus, de purs hommes et proposer le Doryphore à Polyclète, Brasidas à Thucydide ; mais le fer reste pour eux comme le moyen et la fin et l’acte même de leur discipline. C’est ce fer que déposent les hommes d’Athènes, gardant longtemps encore la cigale d’or attardée dans leurs longs cheveux. Mais ne voyons là qu’un point de départ, un motif élémentaire. On trouve, soit épars, ou groupés, ou sous-entendus, dans le livre de Thucydide tous les traits d’un portrait vivant de ces deux êtres collectifs que sont Athènes et Lacédémone, et dont les deux génies, en s’affrontant, ont pu amener à la plénitude de la lumière, sur un masque tragique, tout leur être intérieur.

L’être politique de Sparte est beaucoup plus mal connu que celui d’Athènes. Pour démêler la part de la réalité et de la légende dans les institutions de Lycurgue et la constitution lacédémonienne, la critique est réduite à l’esprit de finesse et aux vraisemblances. Ce qu’il y a de légendaire est d’ailleurs peut-être aussi historique au sens large du mot que ce qu’il y a de vrai. De la légende et de la vérité l’une symbolise et l’autre exprime nu le grand fait fondamental et clair qui donne à Sparte sa réalité : la cohésion et la discipline nécessaires à une troupe de guerriers, campés dans un pays où ils asservissent une population dix fois plus nombreuse. L’épure