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LA
CAMPAGNE AVEC THUCYDIDE

Il semble qu’il y ait, comme en des œuvres d’art, une vie intérieure intense et un rayonnement indéfini dans certains apologues de l’antiquité. Apologue, allégorie, mythe, je ne sais : des histoires simples, en tout cas, qui respirent d’intelligence subtile. Je ne me souviens plus du sens que je voyais autrefois à l’histoire de la sibylle de Cumes et de ses livres, je sais seulement que ce sens me charmait, et que j’y vois aujourd’hui un sens qui, certainement, n’est pas le même, et qui me séduit et me fait songer autant que l’ancien.

On sait le conte. La Sibylle apporta un jour à Tarquin neuf livres dans lesquels était contenu l’avenir de Rome, et dont elle demandait beaucoup d’argent. Tarquin, économe, refusa. L’année suivante, elle revint, dit au roi qu’elle avait brûlé trois de ses neuf livres et lui offrit les autres pour le même prix. Tarquin la tint pour folle et la chassa. Un an après il la revit : elle avait brûlé trois livres encore, et des trois qui restaient elle voulait toujours la même somme. Tarquin alors, soit sur un bon conseil, soit de lui-même, la reconnut pour sage, lui fit compter l’argent et les trois livres furent conservés dans le Capitole : les livres sibyllins.

Les prêtres qui gardaient les livres sibyllins, pour peu qu’ils eussent le goût poétique, pouvaient proposer de nombreux thèmes à leur imagination. Les trouvant plus chers — aux deux sens du mot — d’être un reste