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sous la plus fine culture intellectuelle et morale. En outre ce sont nos passions possibles, sauf l’intensité et les conséquences extrêmes, que nous avons sous les yeux. Et les détails étranges et sanglants empruntés à l’histoire et à la légende s’effacent ou n’ont plus qu’une valeur symbolique. On ne les prend plus au pied de la lettre, mais comme les signes d’une situation ; on les oublie presque pour ne s’attacher qu’à ce qu’il y a de tristement éternel et d’applicable à nous chétifs dans ces peintures typiques du drame des passions humaines[1]. »

Les cités grecques sont assez petites pour demeurer des êtres complets, harmonieux et qu’on peut embrasser d’un regard. Comme les dieux, comme les grandes statues phidiennes, elles paraissent des vivants plus grands que les individus humains, mais où se reconnaissent les traits et se peut transposer toute la beauté typique de l’individu. Le génie d’un grand État moderne nous échappe à moitié, se confond dans une nature lointaine et des épaisseurs insondables. Mais avec ces États grecs est toujours possible l’élégante opération logique dont la République de Platon est le type, le passage de l’individu à la cité comme d’un texte en petites lettres au même texte en lettres grossies.

La dualité d’Athènes et de Lacédémone, figures plastiques et délimitées, est loin d’épuiser la diversité hellénique, mais elle paraît, sans rien lui faire perdre de sa vie, cristalliser cette pluralité, selon les esprits même de l’art grec, en sa forme la plus simple, la plus claire,

  1. Les Contemporains, t. II, p. 178.