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CHAPITRE VI

LA FIGURE DES ÉTATS

Peut-on dire expressément que par la guerre du Péloponèse la Grèce tende à se dissoudre et à disparaître ? Oui et non. Le mot Grèce, comme le mot Europe, n’a pas seulement un sens d’unité, mais un sens de pluralité, de diversité, même d’hostilité. Il implique, par son double contenu de géographie et d’histoire, ce cloisonnement et ces rivalités. Dans la définition de la Grèce, l’unité est donnée comme le fond commun de langue et de culture, sur lequel seront mises en valeur, iront à leur extrémité aiguë les dissonances les plus tragiques. Et ces dissonances, ce tragique, tout ce que Nietzsche appelait le côté dionysiaque de l’hellénisme, c’est la vie intérieure des cités à son état de tension absolue, c’est la guerre du Péloponèse, qui les manifestent. L’unité d’une tragédie, faite de ces dissonances, de ces contraires, de ces parents ennemis, ne la dirons nous pas plus riche que l’unité d’une élégie ou d’un dithyrambe ? Et ne verrons-nous pas plus d’unité réelle dans une famille déchirée comme celle des Atrides et celle des Mirabeau que dans la vie patriarcale d’une ample et douce famille pastorale pareille à celle que Lamartine idéalise autour de son berceau ? L’essence de la Grèce polythéiste est de manifester, comme ses