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les mêmes charges. Le vide alors agit comme un appel d’air sur les masses extérieures, celles des Macédoniens en Grèce et des Germains sur Rome, qui s’y engouffrent et font tout écrouler. Les massacres de la grande guerre, les épidémies et la faim ont fait subir à l’Europe des pertes d’hommes relativement aussi considérables que celles qui épuisèrent la Grèce. À ces pertes d’hommes s’est ajoutée chez les survivants une perte d’énergie vitale. Et la perte d’hommes, la perte d’énergie sont suivies, ainsi que le corps par l’ombre, par des prodromes d’oliganthropie volontaire, une francisation (en un singulier sens) de l’Europe. Comme l’analogie porte alors sur des quantités mesurables, comme les causes des événements historiques envisagées ici sont quantitatives, les ressemblances peuvent être serrées de plus près, il est permis de conclure d’une époque à l’autre avec plus de vraisemblance, et de garder, en refermant Thucydide, certaine angoisse. Certes il serait bien aventureux, sur des indices peut-être temporaires et locaux, de croire à l’imminence générale de cette oliganthropie volontaire, d’accueillir les exemples grecs et romains plutôt qu’européens et chrétiens. Mais si par malheur ce revenant est en route, c’est un vieux rythme de la nature que l’histoire de l’antiquité nous aide à reconnaître et à classer.