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jamais la force ni la volonté de les défendre contre les Perses. On les enlèvera à Athènes, avec l’alliance de Tissapherne, pour les donner à Tissapherne, les vendre aux Perses. Ainsi Sparte, qui avait commencé assez sincèrement la guerre pour affranchir les Grecs, est menée par la logique de cette guerre à prendre la tête du mouvement qui remet les Grecs dans l’esclavage. Le traité d’Antalcidas sera signé par un Spartiate, et il est possible qu’aux yeux des nouveaux Lacédémoniens le Pausanias muré dans le temple d’Athènes par sa propre mère apparaisse comme un précurseur méconnu et malheureux.

Tout conspire à disjoindre la Grèce, et tout aussi conspire à en composer une nouvelle. Cette dissolution apparente ne se fait pas dans un espace glacé, dans un infini où les mondes rayonnent de la chaleur et où se dissipe une énergie décroissante. Elle a lieu dans un monde fermé, où l’énergie que perd une idée révolue s’incorpore pour l’animer à une idée nouvelle, où l’hellénisme local glisse vers cet hellénisme humain que les grandes monarchies mettront au point, la conquête d’Alexandre, le gouvernement des Ptolémées et des Séleucides, l’empire de Rome. Il faut pour préparer ce brassage la terrible crise morale que Thucydide date des massacres de Corcyre. Mais l’histoire ne se répète pas et il serait bien vain et téméraire de voir dans la semblable crise morale déterminée aujourd’hui par la guerre l’amorce d’une fusion pareille. L’histoire, science du présent, ne permet de comprendre l’avenir que lorsqu’il est devenu du passé. C’est alors que pour le prophétiser, nous nous reculons vers un passé plus ancien, et cette prophétie continuelle du passé nous donne l’illusion qu’elle réussira encore, appliquée à l’avenir.