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mort tous les adultes de Mélos et réduisirent en esclavage les enfants et les femmes. » Alcibiade achètera même une captive de Mélos. Et le livre VI commence ainsi (je rappelle d’ailleurs que la division en livres a été faite postérieurement à Thucydide) : « Le même hiver, les Athéniens formèrent le projet de retourner en Sicile avec un plus grand armement que celui de Lachès et d’Eurymédon, pour la subjuguer si possible. »

Comprenons la juste froideur de Thucydide. Sachons, aux heures où il le faut, l’incorporer à notre intelligence. Mais ne la tenons pas pour un état dernier, pour un point d’arrivée de la Grèce, à un moment où toutes ses puissances se modèleraient sur la sécheresse dure de la destinée qui la conduit à sa ruine. Ce raisonnement des Athéniens, nous le retrouverons dans le Gorgias et la République, chez Calliclès et chez Adimante, et un grand athlète, Socrate, le rencontrera pour une lutte digne de lui et pour lui faire toucher terre. Et Mélos, ensevelie dans l’obscurité historique, brille pourtant sur les siècles par une double pointe, celle de ce dialogue tragique et celle du marbre aux bras coupés, l’Aphrodite qui enlevait par la seule persuasion de l’amour les armes d’Arès.

Ces pointes éternelles et fixes ne se dégagent que sur une Grèce effondrée et disjointe. Ce sont les forces de dissolution qui sont à l’œuvre et que Thucydide observe sur le corps hellénique, comme il a observé sur le sien la peste qui l’empoisonnait.

Les souvenirs de la guerre médique volent en éclats. La guerre du Péloponèse avait eu sa Mélos continentale, Platées. Les Béotiens et les Lacédémoniens sont alliés, et Platées, Bohême en miniature, est dans la chair béotienne une épine que les Lacédémoniens aident