Page:Thibaudet - La Campagne avec Thucydide, 1922.djvu/160

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

respect de la neutralité d’un État n’est pas fondé sur un droit de cet État à demeurer neutre, mais sur l’avantage qu’ont les puissances belligérantes à respecter cette neutralité. Une telle logique de domination, dans cette guerre pour la mer, presse moins les États continentaux : dans le Péloponèse les cités d’Achaïe gardent facilement leur neutralité, ce qui est impossible à une île de la mer Égée. Tout ce que peut faire Athènes, c’est de raisonner avec les Méliens et d’essayer de les persuader. Les mêmes arguments ont pu être repris par le Directoire à l’égard des cantons suisses, par l’Angleterre en 1808 devant Copenhague, par l’Allemagne quand, en 1914, elle envahit la Belgique ; « Vous ne vous laisserez pas mouvoir par ce sentiment de l’honneur qui, aux heures de dangers sans conteste et sans gloire, mène ordinairement les hommes à leur ruine… Ne croyez pas déshonorant de céder à une grande république, qui vous fait des conditions modérées en vous demandant de devenir ses alliés et de payer le tribut pour vos terres. » (V111).

L’histoire est ici plus sombre que la fable. Le loup devant l’agneau, l’homme devant la couleuvre, restent tout de même au bout de leurs arguments et dans la lumière de leur injustice, et, après avoir tenté d’habiller la force par leurs raisons, doivent se résigner à l’employer nue. Mais, dans ce dialogue, les Athéniens gardent devant les Méliens, comme les Méliens devant les Athéniens, toutes leurs positions de raisonnement. Les deux « discours », comme ceux du juste et l’injuste dans les Nuées, s’équilibrent. Et puisque la fable est venue s’introduire dans ces propos, les deux destinées s’équilibrent aussi comme celle du rat et celle de la grenouille dans l’autre fable. L’épisode termine le livre V, dont les dernières lignes nous apprennent ceci : « Les Athéniens mirent à