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se déchirent, s’exilent alternativement, entrent dans l’alliance d’Athènes ou dans celle de Lacédémone selon que le parti de l’aristocratie ou celui de l’oligarchie y domine. Le premier soin du parti abattu un moment et relevé par l’aide de l’une ou de l’autre ligue est naturellement de se venger. De là des tableaux comme ceux qu’Aristote retiendra dans sa Politique.

L’occupation d’une cité par l’un ou l’autre des deux grands adversaires y faisait naître automatiquement une explosion de proscriptions et de vengeances. Ce fut le cas d’Athènes elle-même lorsqu’elle eût été occupée par les Lacédémoniens et que le gouvernement des Trente y eût été installé. L’occupation étrangère, même dans un village, donne aux poisons des discordes intérieures une virulence nouvelle. On a su par les débats devant les conseils de guerre, après la paix, dans les affaires de dénonciations, comment les haines locales avaient parfois utilisé l’occupation allemande. J’ai vu pendant la guerre, en Alsace reconquise, des haines pareilles employés à faire expédier des ennemis privés dans des camps de concentration français. Élargissez ces villages à la dimension de cités grecques (ce n’est pas les élargir beaucoup), supposez l’occupation alternative par les Français et par les Allemands, les dénonciations également alternatives des deux partis ; supposez, avec des mœurs plus impitoyables, des camps de concentration sur place, remplis et vidés selon les méthodes de septembre 1792 ou de Moscou, vous aurez à peu près cette Grèce de Thucydide and after, telle qu’elle est comprise à peu près entre les massacres de Corcyre et le retour pacificateur de Thrasybule.

C’est dire que peu à peu les intérêts de parti envahissent et supplantent les autres intérêts. « Les divisions