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temps de guerre comme en temps de paix, l’union sacrée ne saurait constituer qu’un état de tension précaire et que toutes les forces de la politique attaquent pour le desserrer. Les discussions intérieures étaient très fortes au temps d’Aristide et de Thémistocle. On sut néanmoins y surseoir pour sauver la patrie. Au temps de Périclès et jusqu’à l’expédition de Sicile, ces luttes civiles sont loin d’obscurcir le souci de l’intérêt public. Il ne faut pas calomnier à l’excès la nature humaine chez l’animal politique. À travers l’inévitable contamination des passions humaines, il y eut vraiment dans l’Athènes de cette époque comme au temps de la Révolution française, dans les pires discordes civiles, selon le mot d’Aristide à Salamine, un combat à qui rendrait le plus de services à la patrie. Les préparatifs de l’expédition de Sicile, l’utilisation parallèle d’Alcibiade, de Nicias, de Lamachos, témoignent d’un reste de cet esprit. Il semble que le changement, en grande partie réel, que condensent les formules de Thucydide, se soit produit à Athènes après cette aura, ce moment de trouble étrange, de doute tournant sur lui-même et d’horreur sacrée qui suivit la mutilation des Hermès. On crut reconnaître qu’Alcibiade, en faisant décider et en conduisant, sous couleur de l’intérêt athénien, l’expédition de Sicile, ne cherchait qu’à établir sa propre tyrannie. Et l’histoire intérieure d’Athènes est toute occupée à partir de ce moment par des conspirations et des intrigues : il semble qu’elle soit comme monnayée à l’image du génie d’Alcibiade. C’est pourtant dans cette série orageuse d’ambitions rivales et de conspirations que les Athéniens rencontrent le meilleur gouvernement qu’ils aient, de l’aveu de Thucydide, possédé, celui des Cinq Mille. Mais Thucydide songe surtout à ces cités où les deux partis