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tions historiques et militaires peuvent d’ailleurs rapprocher les deux états et communiquer à l’un les qualités de l’autre. La constance étonnante dans l’effort qui a marqué les soldats de la grande guerre tient en partie à ce que ces civils rapidement militarisés étaient engagés encore jusqu’aux reins dans la nature terrienne et la condition paysanne : les tranchées, ce fut le champ en profondeur. Inversement les Lacédémoniens s’efforçaient, par leur éducation militaire, de donner dès l’état de paix aux enfants les habitudes de la guerre, et sacrifiaient, quand il s’agissait du vol et du système D, la moralité créole à la moralité militaire. J’ai vu cette idée Spartiate retrouvée spontanément par un poilu de mon escouade, le débrouillard Panurge, sur le torse de qui je regardais avec un silence éloquent et sarcastique un gilet qui m’appartenait — le fameux gilet du territorial — et que j’avais cherché vainement quelques jours auparavant. Panurge me rétorqua : « T’as des galons, t’es mon cabot, c’est pour m’apprendre à être assassin. C’est pas commode pour un honnête homme. Alors, tu comprends, je me fais la main en me mettant voleur. » Je fis observer à Panurge, selon la pure tradition lacédémonienne, que le premier article du système D était de ne pas se laisser prendre.

La guerre, qui πρὸς τὰ παρόντα τὰς ὀργὰς τῶν πολλῶν ὁμοιοῖ et qui donne à la vie ce caractère d’explosion momentanée — nullement incompatible d’ailleurs avec les longs desseins de l’intelligence politique et de la direction militaire qui jouent sur un autre registre — confère nécessairement la primauté aux instincts violents et brutaux, au θυμός ; ce qui est énergie et audace, même sous les formes les plus sauvages, passe dans la catégorie du bien, dès qu’il est affecté de l’exposant de