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La guerre du Péloponèse présente à ses débuts, dans Corcyre, un tableau analogue à celui que la grande guerre nous présente, à sa fin, dans la Russie bolchéviste. Les deux portes sont pareilles ; mais on entre par l’une et on sort par l’autre. À ces confins du monde grec, il y a probablement une populace plus grossière qu’ailleurs, mâtinée abondamment des barbares de la côte qui étaient, au temps d’Homère, les plus cruels de tous les hommes. Cette populace est gouvernée par une aristocratie qui la mène durement. Le conflit entre ces chefs et ce peuple, l’intervention de Corinthe et celle d’Athènes, créent, comme en Russie, l’état aigu de guerre étrangère, dans la fièvre duquel pourront éclater les puissances comprimées de révolte et de vengeance. Le tableau de Thucydide s’applique trait pour trait aux causes, à l’explosion et aux suites du bolchévisme russe. « On y commit tous les excès qu’on peut attendre d’un peuple longtemps gouverné avec plus de hauteur que de sagesse et qui trouve l’occasion de se venger ; toutes les violences suggérées par le désir d’échapper brusquement à une longue misère en s’emparant du bien d’autrui ; enfin toutes les cruautés, toutes les barbaries naturelles à des gens qui n’ont pas l’ambition pour mobile, mais qui, poussés par un sentiment aveugle d’égalité, s’acharnent impitoyablement sur leurs rivaux[1]. » (III, 84).

  1. Le texte est dans certains détails tellement obscur que je me sens à peu près incapable de le traduire comme je fais ailleurs : j’emprunte ici la traduction de Bétant qui s’attache au sens général. Arnold (dont j’ai toujours l’édition sous les yeux en rédigeant ces notes un peu anciennes) croit à une interprétation, à une imitation de Thucydide par un autre écrivain qui aurait voulu pousser à la caricature sa manière elliptique et ses anacoluthes, et il opine pour un chrétien de l’époque byzantine. Les