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continent, cette société, ces sociétés ne se comportent pas autrement que la société la plus élémentaire, celle d’une famille, ou, plus élémentaire encore, celle de l’homme et de la femme unis pour passer ensemble la dernière moitié d’une vie humaine. Les chutes du Niagara tombent par les mêmes lois qu’une goutte de pluie. Quelles que soient dans une famille la profondeur des dissentiments et l’âpreté des querelles, cette famille est une réalité naturelle qui implique des liens naturels et qui venge toute rupture définitive par une sanction naturelle. L’intelligence substantielle et vraie se confond alors ici avec une indulgence et une bonne volonté raisonnées. Comme notre optique individuelle, notre tempérament individuel, nos passions individuelles vont d’un poids presque irrésistible à l’encontre de cette indulgence, de cette intelligence, de ce sens des ensembles et des sociétés, on reconnaît également ces lois naturelles trop tard, alors que gisent aux pieds de l’homme ou de la femme par leur faute, les fragments d’une vie malheureuse ou brisée. Mais s’il est parfois trop tard pour agir, ou pour le retenir d’agir, il n’est jamais trop tard pour comprendre, et l’intelligence contient peut-être tous les esprits épurés de l’action. M. Bourget a écrit sur cette loi intérieure de la famille son récit du Justicier. Et le Justicier nous invite par son rythme profond, sinon par la volonté de l’auteur, à propager jusqu’à l’ensemble de la société humaine, comme les cercles concentriques sur l’eau, la leçon qu’il implique.

Et pourtant n’oublions pas que nous ne tenons là qu’une partie de la vérité. Nous ne vivons pas dans un