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La moitié environ de ces pages ont paru en 1920 dans les premiers numéros de la Revue de Genève. Presque tout le livre avait été jeté sur le papier, à l’état de notes décousues, pendant l’hiver de 1917. Les hasards de la vie militaire m’avaient procuré, chez les Anglais, le filon d’un camp vide à garder avec quatre hommes. Un premier était voué à la cuisine, un second au bois, et les deux autres employés au ravitaillement, distant de deux kilomètres. Quelques Anglais égarés nous rendaient de temps en temps visite, prenaient du thé et laissaient du tabac. Le flot militaire s’était alors retiré de ce pays de Morcourt, rendu à une solitude complète. Les cinq Robinsons restèrent là deux mois, jusqu’au moment où, le service anglais ayant pris le parti de démolir ces baraques, il n’y eut plus rien à garder. Ces croupes gelées dans le froid sec et le soleil d’hiver faisaient un beau promenoir philosophique. Le caporal, n’ayant alors aucune passion ni aucun service qui le troublassent, put convertir son étroite baraque de planches en poêle cartésien. Il crut cependant que son habit bleu exigeait que ses méditations prissent la guerre pour objet, et, comme il portait un Thucydide dans son sac, il le relut à loisir et lentement. On ne lit bien que la plume à la main ; il entassa les griffonnages jusqu’au moment où l’équipe débusquée dut reprendre, sur les grandes routes et sous le ciré canari, la pioche et la massette.

Mon ami Camille Mauclair possède dans la montagne de Grasse, entre les oliviers, un bastidon rustique que les bons lettrés connaissent bien sans le connaître : lui, ses