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produites et conduites par une logique analogue. Les motifs pour lesquels Bonaparte fait l’expédition d’Égypte ressemblent assez à ceux qui amènent Brasidas à Amphipolis : il s’agit d’installer comme un coin qui la fasse éclater une force militaire dans les œuvres vives d’une thalassocratie.

La fondation d’Héraclée, l’occupation d’Amphipolis et de Décélie, toutes trois sur la grande voie du ravitaillement athénien, ont pour but d’empêcher les Athéniens d’importer du blé, du bois, des peaux. Chez les Athéniens, l’expédition de Sicile est déterminée par des motifs analogues. Lorsqu’ils sont requis par les Léontins de les secourir contre Syracuse et les villes doriennes, alliées de Lacédémone, ils les accueillent favorablement « pour empêcher le blé de Sicile d’aller dans le Péloponése et pour essayer de placer sous leur contrôle les affaires de l’île » (III, 86). La première raison d’abord, mais la seconde en est la suite nécessaire. La thalassocratie athénienne exige l’occupation des bouches, et le blocus maritime de l’ennemi. Les Athéniens établissent une flotte à Rhegion comme ils en ont à Naupacte, à Salamine, à Minoa. Comme la station navale de Naupacte implique la campagne de Démosthène en Étolie, comme celle de Salamine se conçoit mal sans la possession d’Égine, comme celle de Minoa ne va pas sans l’ambition de conquérir Mégare, le poste de Rhegion, sur la pente du même impérialisme, glisse d’un coup à l’occupation de la Sicile entière. Cette année, pourtant, une terrible recrudescence de peste éclate, le sixième des Athéniens périt du fléau. Mais l’intensité de vie, la volonté de puissance, la poussée d’impérialisme sont telles qu’Athènes s’attache à la fortune comme Cynégire à la galère perse, se cram-