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Thucydide ne croit nullement à une Némésis : à plus forte raison, habitué plus que personne à employer des mots pourvus d’une signification, ne trouverait-il pas le terme de justice immanente. La destruction de Mélos et l’expédition de Sicile sont simplement pris dans une même logique réaliste et historique, un enchaînement de nécessités qui se résument en une loi, la loi de la mer. Le dialogue, exempt de tout verbiage et vrai d’une vérité pure, nous place en plein dans cette loi comme un dialogue de Platon nous met dans celles de l’intelligence et du discours.

Toute la ligne de la situation et du dialogue tient dans cette phrase : « Les Méliens, colonie de Lacédémone, refusaient de se reconnaître ainsi que l’étaient les habitants des autres îles sujets d’Athènes » (V, 84). L’être de la thalassocratie athénienne se confond avec le contrôle ou la domination des îles. Périclès appelait Égine une chassie dans l’œil du Pirée, et sa position rendit dès le début de l’empire athénien sa conquête nécessaire, mais toute île indépendante dans la mer Égée et ailleurs devait être pareillement une chassie pour la γλαυκῶπις attique. En aucun temps les maîtres de la mer ne peuvent, dans le cas d’une guerre générale, admettre la neutralité d’une position maritime importante : les Anglais à Copenhague en 1808, les Alliés en Grèce en 1916 ont été conduits à cette logique de la guerre maritime. La puissance continentale se charge d’ailleurs toujours de leur fournir sur terre des précédents qui leur enlèvent tout scrupule : Napoléon en Hollande et en Allemagne et les Allemands en Belgique traînaient leur voie aux Anglais en Danemark et aux Alliés en Grèce. Pareillement, avant que la Mélos dorienne fût arrachée de la Grèce maritime, Platées,