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celles de Cyrus, de Cambyse, de Xerxès. Le Syracusain Hermocrate en fait la remarque dans son discours : « Rarement ont réussi ces grandes expéditions grecques ou barbares, opérant à d’énormes distances de leur pays » (VI33). Et il en donne les raisons : elles font l’union parmi les ennemis et perdent ainsi le bénéfice de leur nombre ; elles peuvent subsister difficilement sur un sol étranger.

C’est précisément dans ces deux sens et pour obvier à ces deux dangers que l’expédition est préparée avec la plus intelligente prudence par Alcibiade et par Nicias. Alcibiade veille à l’un et Nicias à l’autre. Écoutons dans Thucydide les paroles du premier : « La nombreuse population des cités siciliennes est composée d’éléments très mêlés : changements et révolutions politiques y naissent facilement. Nul ne regarde la patrie comme un bien domestique, ne se soucie de prévoir des armes pour la défense de son corps, ni des règlements pour celle du territoire » (VI17). Le περὶ τὸ σῶμα ὅπλοις ἐξἠρτυται doit être évoqué comme une image précise et des plus importantes pour un Grec. Jusqu’à la guerre du Péloponèse, en effet, la force défensive, tant morale que physique, d’une cité, est constituée par le nombre et la qualité des citoyens adultes, équipés à leurs frais avec armes solides et lourdes, tant défensives qu’offensives, et qu’on appelle hoplites. L’hoplite, soldat citoyen et propriétaire, armé pour la protection de l’État et de ses biens, l’hoplite qui a brisé en bataille rangée les archers et la cavalerie des Perses, l’hoplite forme le vrai mur de la cité. Il est particulièrement propre à la défense de la plaine agricole dont cette cité tire sa subsistance, et dont le ravage, objet principal de l’ennemi, amène, si on ne peut se ravitailler par le dehors,