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teurs héritiers de l’esprit de Cimon, comme Nicias, fut amorcée par le même parti et les mêmes arguments que le sera celle de Sicile lorsqu’Alcibiade continuera son oncle Périclès. Et, probablement comme lors de la guerre de Sicile, les partisans de la paix entrèrent dans l’aventure votée malgré eux, afin de la mener avec le plus de prudence : un des commandants de la flotte est en effet Lacédémonios, fils de Cimon.

L’expédition de Sicile, poignardée dans le dos par Alcibiade, son principal instigateur, et conduite par Nicias à la catastrophe la plus tragique, a été condamnée par l’histoire comme la campagne de Napoléon en Russie, et Thucydide, parce qu’elle a échoué, l’impute surtout aux ambitions et aux propos inconsidérés de quelques-uns. Pourtant le dessein de la guerre paraît beaucoup plus raisonnable que ne le fut sa conduite. Les raisons que font valoir les députés d’Égeste et leurs partisans sont assez considérables. Les Syracusains menacent d’établir leur hégémonie sur toute la Sicile. Ils ont une marine puissante, devenue la troisième du monde grec quand celle de Corcyre s’est abîmée dans la révolution. Ils sont Doriens, colonie de Corinthe, très attachée à sa métropole. Si la Sicile unie se fût jointe à Corinthe et à Lacédémone, cette ligue eût formé la thalassocratie la plus redoutable pour Athènes. Aussi Athènes ne pouvait-elle se désintéresser de la Sicile. Les Égestains avaient raison lorsqu’ils disaient « qu’il est sage de soutenir contre les Syracusains les alliés qui les combattent encore en Sicile » (VI6). Une fois résolu d’intervenir en Sicile il fallait le faire, comme le montra Nicias, avec une expédition puissante, hors de proportion avec toutes celles qui avaient jusqu’ici quitté un port grec. On ne peut lui comparer que